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Laissons parler les animaux

Agnès de Clairville et Jocelyne Porcher

Rencontre animée par Chloë Cambreling

Des animaux qui prennent la parole ? La littérature, de La Fontaine à Orwell, en passant par Kipling et Saint-Exupéry, s’est déjà aventurée sur ce terrain, ce qui n’a pas empêché Agnès de Clairville de relever le défi dans son deuxième roman, aussi culotté que réussi.

Dans Corps de ferme, des animaux racontent le quotidien d’une ferme d’aujourd’hui. Un chat, une épagneule, une vache, une pie et même un chœur de truies et de porcelets parlent de ce qu’ils vivent et surtout de ceux qu’ils observent : un agriculteur taiseux et obnubilé par son travail, une épouse éteinte et soumise, et leurs deux fils batailleurs. Rien ne leur échappe : l’inquiétude et le travail acharné des humains pour maintenir l’exploitation à flot, l’étiolement de leur vie familiale, mais aussi la maltraitance et l’exploitation animales. Agnès de Clairville parvient à traiter de manière singulière la crise agricole actuelle et la question de la souffrance animale en adoptant le point des vue des animaux de la ferme.

Ancienne éleveuse de chèvres, indignée par la production industrielle de porcs, Jocelyne Porcher est devenue ingénieure agricole puis chercheuse à l’INRA afin de comprendre ce que l’élevage avait de particulier du point de vue de la relation aux animaux. Dans son dernier ouvrage, Vivre avec les animaux, la chercheuse explique que la coexistence pacifique des hommes dépend de leur capacité à vivre en paix avec les animaux, que cette relation apaisée n’est possible que par un élevage affranchi de l’exploitation industrielle, et imagine une autre relation de travail entre les hommes et les animaux, faite de dons et de contre-dons.

Une rencontre aux enjeux passionnants, qui mêle littérature et sciences humaines, un exercice de dialogue qu’affectionne le festival Oh les beaux jours ! depuis sa création.


À lire

  • Agnès de Clairville, Corps de ferme, Harper Collins, 2024.
  • Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux. Une utopie pour le XXIe siècle,  La Découverte, 2014.
  • Jocelyne Porcher, Une vie de cochon, La Découverte, 2008.

Le cœur dans les nuages

Paolo Giordano et Mathieu Simonet

Paolo Giordano, plus jeune récipiendaire du prestigieux prix Strega pour La Solitude des nombres premiers (succès international traduit dans plus de 20 langues), livre avec Tasmania une auto-fiction climatologique. Le narrateur, écrivain et journaliste désabusé, fuit sa crise conjugale pour se réfugier dans la crise climatique en obtenant de son journal d’être envoyé à Paris pour couvrir la conférence sur le climat. Alors que le ciel s’assombrit au dessus de son couple, il apprend que le réchauffement climatique pourrait provoquer la disparition des nuages et que la Tasmanie en serait le meilleur refuge. Dans un monde en crise, Paolo Giordano livre une réflexion mélancolique sur l’existence et sur la nécessité pour chacun de trouver sa Tasmanie, là où le futur est possible.

Avec La Fin des nuages, Mathieu Simonet signe à la fois la chronique d’un amour endeuillé et un manifeste poético-juridique en faveur de la protection des nuages. Il rend hommage à Benoît, son époux décédé, et se demande si son dernier souffle, par un effet papillon, a pu déclencher l’orage. Il questionne l’ensemencement des nuages qui permet aux États de les manipuler chimiquement afin de provoquer la pluie ou de déstabiliser un pays ennemi en causant sécheresses et inondations. Mathieu Simonet sonne l’alerte sur les risques écologiques et géopolitiques de cette pratique autant que sur la haute valeur poétique des nuages.

Saisis par des bouleversements à la fois intimes et collectifs, Paolo Giordano et Mathieu Simonet nous embarquent tous deux dans des récits qui manient effroi et émerveillement.

En coréalisation avec le Mucem.


À lire

  • Paolo Giordano,Tasmania, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Le Bruit du monde, 2023 (Prix André Malraux 2023).
  • Mathieu Simonet, La Fin des nuages, Julliard, 2023.

 

Poésie/Flammarion : un monde actuel

Anne Calas, Gérard Cartier, Eugénie Favre et Yves di Manno

Rencontre animée par Michaël Batalla

Comme chaque année, le Centre international de poésie Marseille (CipM) et Oh les beaux jours ! se retrouvent pour mettre de la poésie au cœur du festival. Cette année, ils ont choisi l’une des plus belles collections, « Poésie/Flammarion », qui célèbre ses trente ans à travers des voix qui réinventent le présent.

Yves di Manno, lui-même poète, dirige cette collection, riche de quelque 200 titres : « L’idée de départ était que la collection constitue un espace ouvert, susceptible d’accueillir des œuvres très différentes – voire esthétiquement opposées – mais participant toutes au profond renouveau qui a caractérisé l’écriture de poésie en France depuis un demi-siècle. Loin d’illustrer une ligne – et moins encore d’obéir aux mots d’ordre d’un cénacle – il s’agissait de montrer la richesse et la diversité de ces recherches, en mettant notamment l’accent sur un certain nombre de voix isolées, de parcours atypiques, d’univers parallèles…
Toutefois, au terme de ces trente années, quelques constantes se dégagent peut-être, sans que cela ait été le fruit d’un projet délibéré : l’importance de la narration dans le travail poétique actuel, la matérialité de ses formes, la présence significative des femmes… Il importait également que la collection puisse accueillir, à côté des nouveautés, des ouvrages plus « rétrospectifs », remettant en perspective certaines œuvres des années antérieures. D’où la présence de plusieurs anthologies personnelles et de volumes retraçant diverses aventures collectives (Action Poétique, Le Jardin ouvrier, Orange Export Ltd, bientôt la revue Java) ainsi que la réédition de quelques œuvres du passé proche, tout en restant bien sûr à l’écoute des voix d’aujourd’hui : une soixantaine de poètes – hommes et femmes – et près de deux cents titres publiés en témoignent à ce jour. Les œuvres nouvelles viennent ainsi s’inscrire dans un contexte qui n’oublie pas leurs prédécesseurs immédiats, ni les livres qui ont secrètement préparé leur émergence. ».

Pour évoquer cette collection essentielle, aux côtés d’Yves di Manno, trois auteurs seront réunis : Anne Calas, Gérard Cartier et Eugénie Favre.


En coréalisation avec le CipM.


À lire

  • Anne Calas, Une pente très douce, Poésie/Flammarion, 2024.
  • Gérard Cartier, Le Voyage intérieur. Documentaires, Poésie/Flammarion, 2023.
  • Eugénie Favre, Suites Tuoni, Poésie/Flammarion, 2023.
  • Yves di Manno, Lavis, Poésie/Flammarion, 2023.

Aliénations

Glen James Brown et Phœbe Hadjimarkos Clarke

Rencontre animée par Élodie Karaki

Dans Ironopolis, l’écrivain anglais GlenJames Brown nous plonge dans une ville fictive du nord de l’Angleterre avec ses quartiers ouvriers paupérisés après la fermeture des mines. Avec un récit en forme de puzzle qui débute quelques jours avant la destruction de la cité ouvrière, il raconte l’histoire de six habitants, visités par l’étrange Peg Powler, vieille sorcière du folklore anglais à la peau verte, qui vit dans les rivières… Mêlant enquête, roman épistolaire, journal intime, ce livre marque la naissance d’un grand écrivain, à l’esprit rebelle et caustique.

Fauvel, le personnage d’Aliène, le roman de Phœbe Hadjimarkos Clarke est elle aussi une rebelle. Victime d’un tir de LBD qui lui a fait perdre un œil, elle se réfugie à la campagne pour aller garder la chienne du père d’une amie. Mais voilà qu’elle se retrouve face à deux chiennes, la vraie, morte et empaillée, et son clone, aux crocs rageurs… Gilets jaunes, question animale, emprise des sectes, sécheresse climatique, sixième extinction de masse, genre et identité, Aliène emporte tout sur son passage, le tout sur fond de dystopie, dans une langue époustouflante.

Glen James Brown et Phœbe Hadjimarkos Clarke nous offrent deux grands romans sociaux en hybridant les genres, entre écriture politique et récit fantastique. Ces deux jeunes auteurs, révélations littéraires des derniers mois, s’emparent brillamment des maux de notre époque pour en faire d’étranges et savoureux objets littéraires.


À lire

  • Phœbe Hadjimarkos Clarke, Aliène, Éditions du sous-sol, 2024.
  • Glen James Brown, Ironopolis, traduit de l’anglais (Angleterre) par Claire Charrier, Les Éditions du Typhon, 2023, (Prix Millepages 2023).

Le sens de la justice

Denis Salas et Joy Sorman
Rencontre animée par Chloë Cambreling

S’appuyant comme souvent sur de longues immersions, Joy Sorman s’est penchée sur la justice en assistant durant un an aux audiences du Palais de Justice de Paris. Comme à son habitude, elle en a fait un objet littéraire inclassable, où son héros, Bart, à la manière du Bartleby de Melville, décide de tout quitter, appartement et vie professionnelle, pour vivre clandestinement dans le faux-plafond du palais de justice. Chaque matin, il choisit les procès auxquels il assistera dans la journée en buvant du café au lait et en mangeant des biscuits au gingembre. Bart devient le témoin muet mais obstiné des dysfonctionnements de la justice où une classe sociale en juge une autre, condamnant sans nuance et au pas de course les plus fragiles à des peines d’emprisonnement. Après avoir pointé du doigt les défaillances du système psychiatrique dans son précédent roman, À la folie, Joy Sorman dénonce cette fois par l’absurde une justice devenue injuste.

Elle en discutera avec Denis Salas, magistrat et essayiste, qui apportera son éclairage en confrontant sa propre expérience avec l’idée qu’il se fait de la justice. Denis Salas a notamment écrit sur le courage de juger et les erreurs judiciaires. Dans son dernier livre, Le déni du viol, essai sur une justice narrative, il explore le patrimoine artistique et littéraire à la recherche d’œuvres qui ont permis la libération de la parole des victimes d’abus sexuels et qui ont, en éveillant les consciences, participé à la construction de la norme juridique.

Une rencontre aux enjeux passionnants, qui mêle la parole d’un juge à celle d’une écrivaine, à l’image des frictions littéraires que le festival affectionne depuis sa création.


À lire

  • Joy Sorman, Le Témoin, Flammarion, 2024.
  • Denis Salas, Le déni du viol : essai de justice narrative, Michalon, 2023.

Le voyage vers l’Est

Claire Fercak et Akos Verboczy
Rencontre animée par Pierre Benetti

Dans Une existence sans précédent, Claire Fercak met en scène une orpheline fantasque, ballottée de familles d’accueil en centres pour «adolescents décomposés», qui plaque tout, vole les cendres de sa mère adoptive, et roule vers la Slovénie à la recherche de ses racines. Elle frappe à la porte des membres de sa famille putatifs, les «Cerzak originaires», dont elle avait hasardeusement dressé la liste, espérant reconstituer les ramages de son arbre généalogique et le passé d’avant son existence. Elle se remémore sa jeunesse cabossée, la maltraitance de son père adoptif, et tente de réparer son enfance en se recomposant une famille.

Il est aussi question d’un voyage à l’est de l’Europe dans le premier roman d’Akos Verboczy, La Maison de mon père. L’écrivain y décrit le retour au pays d’origine d’un Hongrois exilé au Québec, douze ans après les funérailles de son père, un personnage complexe, avec lequel il entretenait des relations difficiles. Il visite sa famille, revoit ses anciens amis, retrouve son premier amour et réapprend sa langue d’origine. Avec Petya, son ami d’enfance, il se met en quête de la maison paternelle dont il espérait hériter, un ancien pressoir tombé en ruines au bord du lac Balaton, où l’on entrait par le grenier, qui cristallise son amour filial.
Derrière l’évocation d’une relation père-fils en demi-teinte, Akos Verboczy dresse, non sans humour, un portrait sensible et nostalgique de la Hongrie.

Le retour au pays d’origine peut-il panser les blessures d’enfance ? Claire Fercak et Akos Verboczy explorent le thème de la quête des racines en embarquant leurs personnages dans un road trip vers l’Est.


À lire

  • Claire Fercak, Une existence sans précédent, Éditions Verticales, 2024.
  • Akos Verboczy, La Maison de mon père, Le Bruit du monde, 2024.

Autrices, ces grandes effacées qui ont fait la littérature

Louise Chevillotte, Alice Moinet, Daphné Ticrizenis
et les musiciens et musiciennes du conservatoire

Si des générations d’écoliers ont eu affaire au classique Lagarde et Michard qui leur a permis de plonger dans l’histoire littéraire française, aucune anthologie de cette ampleur n’avait rassemblé, à notre époque, des textes écrits par des femmes pour retracer sur plusieurs siècles le rôle qu’elles ont joué dans la littérature. Celui-ci a pourtant été majeur, et même si elles ont été oubliées, spoliées ou rendues invisibles, nombre d’entre elles ont laissé des textes puissants qui résonnent encore fortement aujourd’hui. Elles ont abordé des thèmes variés, se sont risquées à inventer des genres et ont persisté dans la création malgré les tentatives pour les en empêcher. Les éditions Hors d’atteinte ont donc décidé de pallier ce manque en publiant une ambitieuse anthologie en plusieurs tomes, rédigée par l’autrice Daphné Ticrizenis partie à la recherche de ces écrivaines effacées pour reconstituer un matrimoine commun.

Qui sont ces femmes qui écrivent ? Daphné Ticrizenis nous répondra sur scène en présentant quelques autrices de son choix, entourée par les comédiennes Louise Chevillotte (que l’on voit ces jours-ci sur grand écran dans Le Tableau volé de Pascal Bonitzer) et d’Alice Moinet (ancienne élève du conservatoire) qui liront des extraits de leurs textes.
Mais ce n’est pas tout ! Pour augmenter cette mémoire, nous avons demandé aux professeures et aux musiciens du conservatoire Pierre Barbizet de plonger à leur tour dans l’histoire musicale et de mettre au jour des compositrices méconnues ou elles aussi effacées, contemporaines des autrices. Tous et toutes se sont passionnés pour cet exercice, devenu une véritable création du festival éclairant une histoire qui manquait à la révolution féministe !


En coréalisation avec l’INSEAMM.
Le festival remercie chaleureusement toutes les professeures du conservatoire impliquées dans cette création.


À lire

  • Daphné Ticrizenis, Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature, tome 1,
    Hors d’atteinte, 2022.
  • Daphné Ticrizenis, Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature, tome 2,
    2023.

Musique

  • Edwige Chrétien (piano/violon), Elisabeth Jacquet de la Guerre (clavecin solo), Marie Jaël (piano à quatre mains), Marie-Clémence de Grandval (sérénade, piano/basson), Marcelle de Manciarly (nocturne, piano solo), Hélène de Montgeroult (harpe solo), Clara Schumann (piano solo).

Les beaux jours de Mathias Enard

Mathias Enard et Myriam Anderson
Lecture par Emmanuel Noblet

Grand entretien animé par Élodie Karaki

Oh les beaux jours ! est heureux d’accueillir l’un des écrivains français les plus passionnants. Depuis vingt ans, Mathias Enard élabore une œuvre exigeante qui embrasse brillamment l’histoire, les grands récits, explorant dans une langue foisonnante les liens entre Orient et Occident, la mémoire douloureuse des conflits et la complexité des identités en mouvement.

Né en 1972, Mathias Enard a grandi dans le Poitou. Après des études à l’École du Louvre, il apprend l’arabe et le persan à l’Inalco. Il effectue son service militaire en Syrie, enseigne le français à Soueïda. Installé à Barcelone en 2000, il contribue à plusieurs revues culturelles et devient traducteur.

Son premier roman, La Perfection du tir (2003), remporte le Prix des cinq continents de la francophonie. C’est Zone (2008) qui le révèle au public, avec ses 500 pages caractérisées par une unique et impressionnante phrase à la première personne. En 2010, il publie Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, lauréat du prix Goncourt des lycéens. Suit Rue des voleurs, récit de voyage d’un jeune Marocain errant en Espagne lors des Printemps arabes et du mouvement des indignés et en 2015, Boussole, qui interroge avec finesse la manière dont l’Occident a construit une vision de l’Orient à travers le parcours singulier d’un personnage hanté par la quête de l’altérité, livre pour lequel il reçoit le prix Goncourt. Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs (2020) le ramène dans son Poitou natal.
Dans son dernier roman, Déserter, paru à l’automne dernier, il alterne l’histoire d’un soldat en rupture d’une guerre contemporaine et celle d’un mathématicien allemand, de la montée du nazisme jusqu’à l’effondrement des États communistes.

Mathias Enard aime aussi les projets collectifs, comme celui qui l’a uni à la dessinatrice Zeina Abirached dans un roman graphique, Prendre refuge, dont on verra des planches lors de cet entretien. Depuis la rentrée 2020, il anime l’émission L’entretien littéraire chaque dimanche sur France Culture.

L’écrivain reviendra sur son parcours, sa passion pour l’art, son rapport aux langues et à la littérature. Comme toujours pour l’exercice du grand entretien façon Oh les beaux jours !, il sera entourée d’une invitée : son éditrice chez Actes Sud, Myriam Anderson, qui l’accompagne depuis plusieurs années. Enfin, il se laissera surprendre avec le public par le visionnage de quelques archives soigneusement choisies, tandis que le comédien Emmanuel Noblet fera entendre des extraits de ses romans.


À lire

  • Mathias Enard, Zone, Actes Sud,2008.
  • Mathias Enard, Boussole, Actes Sud, 2015 (prix Goncourt 2015).
  • Mathias Enard, avec Zeina Abirached, Prendre refuge, Casterman, 2018.
  • Mathias Enard, Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, Actes Sud, 2020.
  • Mathias Enard, Déserter, Actes Sud, 2023.

Le temps des crocodiles

Mathieu Belezi et Kamel Khélif

Rencontre animée par Sonia Déchamps

Mathieu Belezi continue de s’intéresser à l’histoire de l’Algérie, avec un nouvel épisode des débuts de la colonisation française, période peu traitée qu’il avait déjà sondée en 2022 dans son très beau Attaquer la terre et le soleil (Prix littéraire Le Monde 2022 et Prix du Livre Inter 2023).
En ce milieu du XIXe siècle, alors que la conquête de l’Algérie par la France est sur sa lancée, le tout-puissant capitaine Vandel mène sans états d’âme un détachement de soldats français à la conquête du désert, fort de son bon droit de « race supérieure ». Enragé, le bataillon d’une centaine de zéphyrs pille, viole, torture, égorge avec une barbarie qui semble sans limites. L’écriture de Mathieu Belezi n’épargne aucun détail sanguinaire dans une langue aussi crue que poétique, admirablement ciselée et itérative, que les dessins du grand Kamel Khélif viennent sublimer.
Dans une palette de bruns et de gris, avec une technique de peinture dont il est l’inventeur, l’artiste fait surgir les paysages à la fois obscurs et grandioses qui survivent au saccage, entre peintures à la Goya et images de western.

Les deux auteurs poursuivront sur scène ce dialogue artistique fécond, alors que seront projetés quelques dessins de Kamel Khélif.


En coréalisation avec le Mucem.


À lire

  • Le Temps des crocodiles, Mathieu Belezi et Kamel Khélif, Le Tripode (2024).

À qui appartiennent les histoires ?

Marielle Hubert et Virginie Linhart

Rencontre animée par Salomé Kiner.

Philip Roth était formel : « Quand un écrivain naît dans une famille, c’en est fini de cette famille. » Car l’écriture de soi se nourrit aussi des autres. Alors, à qui appartiennent les histoires ? À l’écrivain ou à son entourage ? Virginie Linhart et Marielle Hubert ont fait de leur mère le personnage central de leur dernier livre, non sans mal.

Marielle Hubert a écrit Il ne faut rien dire « pour faire mourir sa mère », Sylvette, qui survit depuis des années à un cancer métastasé qui aurait dû l’emporter en quelques mois. Sa résilience trouve son origine dans un traumatisme d’enfance qui lui a imposé de survivre à toute force. Elle traite son passé et sa mort annoncée avec le même déni, les éloignant l’un et l’autre. Pour l’aider à partir, Marielle Hubert libère la parole de celle qui lui a donné la vie en racontant à sa place ses blessures, en fabriquant des personnages à partir de l’histoire de sa mère.

Virginie Linhart est la fille de Robert Linhart, fondateur du mouvement maoïste en France, et de la biophysicienne Nicole Colas-Linhart. L’écrivaine, par ailleurs documentariste, a raconté en 2020 les errements de son éducation soixante-huitarde et leurs conséquences sur sa propre maternité dans son roman précédent, L’Effet maternel. Cités dans le livre, sa mère et son ex-compagnon lui ont alors intenté un procès pour atteinte à la vie privée en demandant la suppression de 68 pages du manuscrit. Dans Une sale affaire, Virginie Linhart fait avec lucidité la chronique du procès qu’elle a gagné et analyse les effets que produit l’autobiographie sur l’entourage des écrivains.

Un écrivain peut-il tout dire, tout raconter ?
Deux récits qui posent des questions importantes sur l’intimité, l’usage – et ses limites – du matériau autobiographique en littérature, par deux écrivaines qui n’ont pas peur de plonger dans les dits et les non-dits familiaux.


À lire

  • Marielle Hubert, Il ne faut rien dire, P.O.L, 2024.
  • Virginie Linhart, Une sale affaire, Flammarion, 2024 ; L’Effet maternel, Flammarion, 2020.