cccccc

Archives

La plus secrète mémoire des hommes

Avec Mohamed Mbougar Sarr (Prix Goncourt 2021).
Rencontre animée par Élodie Karaki.

Prix Goncourt retentissant à l’automne dernier pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, un de ses plus jeunes lauréats, est devenu en quatre romans et à 31 ans seulement un écrivain reconnu pour la qualité de ses écrits et pour les idées qu’il défend, marquées par le refus de l’assignation à une appartenance.
D’une perpétuelle inventivité, tant dans la langue, flamboyante et érudite, qu’à travers une narration labyrinthique, le roman qui lui valu le Goncourt est une œuvre étourdissante, dominée par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question devenue cruciale du face-à-face entre Afrique et Occident. Mohamed Mbougar Sarr y croise l’histoire de deux écrivains sénégalais, l’un contemporain qui vit à Paris, à la recherche de lui-même, et l’autre – le mystérieux T.C. Elimane, surnommé le « Rimbaud nègre » – qui défraya la chronique en 1938 à la faveur de la publication d’un seul roman, avant de disparaître.
Cette quête haletante nous fait voyager entre les époques et nous mène du Sénégal à Buenos Aires en passant par Amsterdam ou Paris, n’omettant rien des tragédies de notre siècle que sont la Shoah et le colonialisme, révélant peu à peu le propos de ce roman qui est aussi une juste revendication à ne pas mettre l’Afrique à part dans l’histoire des lettres.

La Plus Secrète Mémoire des hommes est aussi un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel, littérature qui « transfigure la vie », assène Mohamed Mbougar Sarr, lecteur assidu dès son enfance passée au Sénégal. Marqué par la culture africaine, l’écrivain refuse néanmoins de se laisser prendre au piège de l’enfermement identitaire et milite pour les frictions et les hybridations fécondes avec d’autres imaginaires, par exemple la littérature sud-américaine où il puise « des échos, des images, des façons de concevoir le roman qui me révèlent à moi-même. »

Une rencontre avec un jeune écrivain, déjà très grand, à la parole dense et profondément ouverte sur le monde.


À lire

  • Mohamed Mbougar Sarr, La Plus Secrète Mémoire des hommes, Philippe Rey /Jimsaan, 2021 (prix Goncourt 2021, prix Transfuge du meilleur roman de langue française 2021, prix Hennessy du livre 2021 et prix Fetkann/Maryse Condé 2021)..

La patience des traces

Avec Jeanne Benameur.
Entretien animé par Guénaël Boutouillet.

La Patience des traces est un livre de silence, de ces silences que Jeanne Benameur sonde en profondeur et avec une élégance discrète au fil de romans aux titres soignés (Laver les ombres, Les Insurrections singulières…) .
Simon est psychanalyste et a fait métier d’écouter les autres. Quand un matin il brise le bol dans lequel il boit depuis son enfance, une brèche s’ouvre en lui qui lui fait réaliser qu’il n’a guère pris le temps de s’écouter lui-même. Alors qu’il n’a jamais voyagé, il s’envole sur les îles japonaises de Yaeyama où il va renaître, accueilli dans une maison d’hôtes par un couple – Madame Itô, qui collectionne les tissus anciens, et son mari spécialiste de l’art du Kintsugi qui consiste à réparer les céramiques brisées, non pas en cherchant à masquer leurs fêlures mais en les laquant d’une poudre d’or qui les rend plus belles et laisse leurs cicatrices apparentes.
On l’aura compris, les lignes de faille se muent ici en lignes de force, à l’image de Simon qui se saisit lui aussi de ses blessures enfouies. Dans le temps dilaté d’un pays de traditions, à l’écoute des bruits de la nature et des souffles intérieurs, goûtant aux plaisirs du silence et des sources d’eau chaude, il entame cette fois un voyage spirituel réparateur d’où il sortira transformé.

Au cours de cet entretien, il sera également question de poésie. Jeanne Benameur est l’autrice de plusieurs recueils dont Le Pas d’Isis, paru cette année aux éditions Bruuno Doucey.


À lire

  • La Patience des traces, Actes Sud, 2022.
  • Le Pas d’Isis, Éditions Bruno Doucey, 2022.

Nom (rencontre annulée)

Pour des raisons indépendantes de notre volonté, cette rencontre est malheureusement annulée.

Avec ses deux premiers romans (Play Boy, Love Me Tender), Constance Debré s’est fait un nom dans la littérature française qu’elle bouscule par des textes coups de poing, à la langue vive et incisive, qui ne composent pas avec les semblants. Et c’est justement son nom qui est à l’origine de son nouveau roman où, à l’occasion de la mort de son père, elle revient sur son enfance pour mieux abolir l’héritage familial, au point d’en faire un véritable programme politique. Et rien ne résiste à celle dont le patronyme est lié à celui d’une des plus grandes lignées du gaullisme, le clan Debré. Famille, hérédité, enfance, propriété, bourgeoisie, patrimoine, héritage… Tout doit disparaître pour que la vie cesse d’être « lamentable » et mensongère.
Comment juguler le cri de rage qui monte en vous, canaliser une violence contre les siens sans la diriger contre soi, même si l’auteure ne fait en aucun cas le procès de son ascendance mais celui, général, de la famille et de l’ordre moral ?

Constance Debré impressionne par sa radicalité étourdissante, sa volonté de destruction qui semble sans limite. Par sa capacité – rare – à bousculer nos certitudes, elle parvient à ébranler et à réinterroger nos vies grâce à l’arme inégalée qu’est la littérature. On ne choisit pas ses origines mais peut-on vraiment leur échapper ?


À lire

  • Constance Debré, Nom, Flammarion, 2022.

Utopia Avenue

Avec David Mitchell.
Entretien animé par Yann Nicol et traduit de l’anglais par Valentine Leÿs.

Quel plaisir d’accueillir à Marseille le surdoué des lettres britanniques, l’un des écrivains les plus originaux du moment, auteur d’une œuvre inclassable d’où surgissent des sortes de méta-romans qui naviguent entre les genres littéraires. David Mitchell sera avec nous pour son dernier opus, qui réussit une fois de plus le pari de nous surprendre. Car ce n’est pas spontanément sur le terrain du rock et des Swinging Sixties que l’on attendait celui qui fut l’un des scénaristes du dernier Matrix, compagnon des Wachowski qui ont adapté au cinéma l’un de ses romans les plus célèbres, Cartographie des nuages (Cloud Atlas sur grand écran).

Londres, 1967. Dans l’effervescence de la culture pop et de la minijupe, se crée Utopia Avenue, un improbable groupe de folk-rock psychédélique, « the most curious British band you’ve never heard of », dont on va suivre l’ascension fulgurante (et bien sûr la chute calamiteuse). Managé par Levon Frankland, dont le chapeau en fourrure et les lunettes bleues le rangent d’emblée dans la case «queer beatnik», ce groupe fictif se compose de la chanteuse folk Elf Holloway, à l’évidence taraudée par sa sexualité ; du bassiste Dean Moss, empêtré dans un passé familial traumatique ; de Jasper de Zoet, dont le génie à la guitare est perturbé par des hallucinations auditives qui l’amèneront à fréquenter une étrange clinique ; et du batteur Griff, dont on ne sait pas grand chose…
On plonge avec frénésie dans une ville où le sexe est partout, où le LSD circule librement dans les clubs et les studios, croisant avec jubilation Syd Barrett, Leonard Cohen, Francis Bacon ou Janis Joplin. Un vent de liberté souffle sur Londres, même si le père d’Elf lui rappelle que sa banque n’emploie pas de femmes mariées, et même si la propriétaire de Dean, qui l’a mis dehors, affiche sur la fenêtre un panneau indiquant qu’elle ne loue ni aux Noirs ni aux Irlandais…

Un grand roman aux accents de biographie rock, comme une série d’albums composés de chansons qui vous trottent longtemps dans la tête…


À lire

  • David Mitchell, Utopia Avenue, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Nicolas Richard, L’Olivier. En librairie le 20 mai 2022.

Les abeilles grises

Avec Andreï Kourkov.
Entretien animé par Christophe Ono-dit-Biot (Le Point).

Oh les beaux jours ! avait convié l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov avant que la tragédie de la guerre ne nous rattrape. Et c’est une grande chance de recevoir le célèbre auteur du Pingouin et du Journal de Maïdan pour profiter de son regard implacable autant qu’ironique sur les confusions de notre temps.
Dans son dernier roman, Les Abeilles grises, Kourkov nous entraîne dans le théâtre absurde d’un village abandonné de la « zone grise », aujourd’hui sous les bombes, coincé entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. Dans ce no man’s land ne vivent plus que Sergueïtch et Pachka, ennemis d’enfance, désormais obligés de coopérer contre l’adversité. « Là-bas, le ciel est gris, les âmes sont mortes  », autant que dans le roman éponyme de Gogol, père fondateur de la littérature ukrainienne.
Sergueïtch, apiculteur désabusé, ne croit plus en grand chose si ce n’est en ses abeilles, cette société parfaitement ordonnée qui, contrairement à celle des hommes, ne dévie pas. Si les conditions de vie sont aussi rudimentaires qu’en temps de guerre, l’ennui, les journées monotones de Sergueïtch sont cependant peuplées de rêves visionnaires. Inapte à sauver les hommes, il fera tout ce qui est possible pour garder intactes ses six ruches qu’il exfiltre lors d’une aventure au cœur des prairies fleuries de l’ouest de l’Ukraine et des montagnes de Crimée. Précieux chargement surveillé et convoité par le « grand frère » russe qui, tel Caïn, tente depuis des siècles de mettre à terre la culture et le peuple ukrainien.
La littérature est le moyen le plus sûr pour capter l’indicible et nous faire mesurer l’inacceptable. Avec la lucidité grinçante qui le caractérise, Andreï Kourkov viendra donc nous parler des abeilles et nous donner les dernières nouvelles de son pays en guerre.


À lire 

  • Andreï Kourkov, Les Abeilles grises, Liana Levi, 2022.

En coréalisation avec le Mucem.

Mandíbula

Avec Mónica Ojeda.
Entretien animé par Élodie Karaki et traduit de l’espagnol par Roxana Nadim.

Depuis sa création, Oh les beaux jours ! accorde une large place aux nouvelles voix de la littérature. Rien d’étonnant à ce que Mónica Ojeda, l’une des romancières les plus prometteuses du continent latino-américain, soit à Marseille. Avec Mâchoires (Mandíbula en espagnol), un roman coup de poing aussi tranchant que son titre, l’écrivaine équatorienne, née en 1988, confirme qu’il faudra compter avec elle dans les années à venir.

Nourrie à l’évidence par les littératures de l’imaginaire, Mónica Ojeda nous entraîne dans un monde féminin terrifiant et sans limite, explorant dans une langue riche à couper le souffle et une narration sous tension permanente, les relations tortueuses entre les mères et les filles, les élèves et leurs professeurs et les meilleures amies entre elles.
On y suit Fernanda, belle et insolente élève de première d’un lycée catholique huppé de Guayaquil, passionnée de littérature, de films d’horreur et de creepypastas, ces légendes urbaines effrayantes et virales qui circulent sur Internet qu’elle partage avec cinq autres lycéennes, s’adonnant aussi avec elles à un étrange rituel sadomasochiste…
Un jour, l’adolescente se réveille pieds et poings liés dans une cabane au milieu de la forêt équatorienne sauvage. Sa kidnappeuse n’est autre que Miss Clara, sa professeure de lettres. Perturbée psychologiquement par sa mère, harcelée depuis des mois par Fernanda et ses camarades, surnommée la « Madame Bovary latina » par tout le lycée, Miss Clara est hantée par le souvenir de sa propre séquestration par deux élèves de l’ancien établissement où elle exerçait.

Entre thriller psychologique (on pense bien sûr à Stephen King) et roman gothique, Mâchoires explore les zones troubles de l’adolescence et la fascination des jeunes filles pour la violence. Un roman ultracontemporain, baroque et haletant, une révélation !


À lire

  • Mónica Ojeda, Mâchoires, traduit de l’espagnol (Équateur) par Alba-Marina Escalón, coll. « Du Monde entier », Gallimard, 2022.