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Voix singulières

Avec Maylis de Kerangal et Sylvain Prudhomme
Rencontre animée par Yann Nicol

Oh les beaux jours ! est un jeune festival et pourtant Maylis de Kerangal et Sylvain Prudhomme en sont déjà les compagnons fidèles. Outre le plaisir que nous avons à les réunir (et il paraît qu’eux aussi sont très contents !), ils ont en commun cette année d’avoir un temps délaissé le genre romanesque pour se glisser, avec brio, dans la peau d’auteurs de nouvelles.

Dans Les Orages, Sylvain Prudhomme (prix Femina 2019 pour Sur les routes) explore en treize nouvelles le moment où un être vacille, où tout à coup il est nu. Comme toujours, son écriture précise, tout en délicatesse, donne chair à des personnages qui, cette fois, sont confrontés à des choix, à instants décisifs où leur vie peut basculer. Avec la maîtrise des grands novellistes, l’écrivain parvient à faire résonner ces courts récits, qui dialoguent subrepticement et révèlent avec douceur et éclat les éclaircies qui suivent inévitablement les orages. Et l’on est saisi par sa capacité à faire surgir les possibles de toute vie, à questionner déterminisme et libre-arbitre sans jamais porter de jugement sur les êtres, nous transportant sans effet d’une histoire à l’autre en équilibre sur le fil fragile des existences.

Avec Canoës, Maylis de Kerangal a souhaité écrire un « roman en pièces détachés », avec une novella centrale, « Mustang », qu’entourent sept récits. Tous ont en commun de sonder la nature de la voix humaine, ses vibrations et ses mues, sa capacité d’adaptation aux tourments et aux bouleversement de nos vies mais aussi ce qu’elle trahit de nos histoires et de nos origines. Une jeune femme française, qui s’installe en famille dans le Colorado et s’y sent totalement dépaysée, surprend les changements d’inflexion de la voix de son mari quand il lui parle français, révélant son intégration. Un homme ne parvient pas à changer le message du répondeur où l’on entend la voix de sa femme, pourtant morte depuis plus de cinq ans ; un frère qui bégaie peine à féliciter sa sœur qui vient d’obtenir son bac… Habituée à ce qu’elle nomme elle-même des « livres machines », romans aux amples constructions faisant s’imbriquer des rouages multiples, l’écrivaine impressionne ici par la force de monologues écrits à la première personne, où elle confesse être allée chercher sa propre voix parmi celles de ses personnages.

Deux recueils de nouvelles comme autant de constellations qui s’assemblent pour faire briller des voix singulières.


À lire

  • Maylis de Kerangal, Canoës, Verticales, 2021.
  • Sylvain Prudhomme, Les Orages, L’Arbalète/Gallimard, 2021.

En coréalisation avec la Ville de Marseille — Musées de Marseille.

Amandine Bailly

Les parents véritables

Avec Pierric Bailly et Thibault Bérard
Rencontre animée par Guénaël Boutouillet

Lorsqu’Aymeric, le personnage principal du roman de Pierric Bailly, retrouve Florence, qu’il a connue naguère et qui a quinze ans de plus que lui, il vient de sortir de prison et elle va mettre au monde seule un enfant. Aymeric emménage avec elle, l’accompagne dans cette naissance et se découvre peu à peu une vocation de père, entretenant avec le petit Jim un lien fort et complice, l’élevant en pleine nature avec Florence. Jusqu’à ce que Christophe, le père biologique de Jim, dévasté par un drame personnel, surgisse dans leur vie et qu’il y retrouve un rôle de premier plan, évinçant insidieusement Aymeric avec la complicité machiavélique de Florence…

La parentalité est aussi au cœur du roman de Thibault Bérard. Cléo, une jeune femme dont le rire solaire masque une histoire familiale tourmentée, s’installe chez Théo, veuf et père de deux jeunes enfants, bien décidée à ce qu’ils soient heureux tous les quatre. Peut-on devenir la mère d’enfants qui ne sont pas les siens, quand leur mère ne sera plus jamais là et quand soi-même on a eu une mère qui a toujours placé sa quête de liberté au-dessus de son amour filial ? Et peut-on à son tour se décider à mettre au monde un enfant ?

Est-il possible de s’attacher à des enfants hors des liens du sang ? Tel est le questionnement à l’origine de ces deux très beaux romans parus cette année.


À lire

  • Pierric Bailly, Le Roman de Jim, P.O.L, 2021.
  • Thibault Bérard, Les Enfants véritables, Les éditions de l’Observatoire, 2021.
DR

Fibres maternelles

Avec Nathalie Kuperman et Laura Ulonati
Rencontre animée par Guénaël Boutouillet

La complexité des relations mère-fille est au cœur de deux romans récents et marquants qui interrogent ce que la langue commune a nommée « fibre maternelle ». D’un côté On était des poissons de Nathalie Kuperman où Agathe, 11 ans, complexée par son corps et sa timidité, passe des vacances auprès d’une mère divorcée et bipolaire, mais surtout exubérante et omniprésente, qui alterne excès de tendresses et piques de méchanceté. De l’autre, Dans tout le bleu de Laura Ulonati où Ariane, constatant le vieillissement inéluctable de sa mère qui s’est murée dans le silence de son appartement niçois, essaie de comprendre la relation douloureuse qu’elles entretiennent, tout en l’aidant à se débarrasser des secrets derrière lesquels elle se protège depuis qu’elle a quitté l’Italie de sa jeunesse.

Des mères trop aimantes à celles trop absentes, avec une infinité de variations entre les deux, la rencontre entre Nathalie Kuperman et Laura Ulonati est la preuve en beauté que la famille restera toujours un terreau inépuisable pour les écrivains.


À lire :

  • Nathalie Kuperman, On était des poissons, Flammarion, 2021.
  • Laura Ulonati, Dans tout le bleu, Actes Sud, 2021.

Retrouvez Nathalie Kuperman dimanche 18 juillet pour Les beaux jours de Valérie Zenatti, au Mucem.