Juste après le grand entretien consacré à Romain Gary à La Criée, Hervé Le Tellier sera à la librairie Maupetit (142 La Canebière), où il sera interrogé sur son nouveau roman, Le Nom sur le mur, qui vient de paraître chez Gallimard.
On pourrait dire du Nom sur le mur qu’il est une enquête à la fois philosophique et mathématique, un roman politique et un grand récit sur l’engagement. Hervé le Tellier est parti sur les traces d’un héros ordinaire de la Seconde Guerre mondiale dont il a découvert le nom sur un mur. André Chaix, c’est son nom, fut résistant maquisard, et mourut à l’âge de 20 ans, 2 mois et 30 jours.
«Je ne savais rien de lui. J’ai posé des questions, j’ai recueilli des fragments d’une mémoire collective, j’ai un peu appris qui il était. Dans cette enquête, beaucoup m’a été donné par chance, presque par miracle, et j’ai vite su que j’aimerais raconter André Chaix. Sans doute, toutes les vies sont romanesques. Certaines plus que d’autres.
Quatre-vingts années ont passé depuis sa mort. Mais à regarder le monde tel qu’il va, je ne doute pas qu’il faille toujours parler de l’Occupation, de la collaboration et du fascisme, du rejet de l’autre jusqu’à sa destruction. Ce livre donne la parole aux idéaux pour lesquels il est mort et questionne notre nature profonde, ce désir d’appartenir à plus grand que nous, qui conduit au meilleur et au pire.»
Hervé Le Tellier
À lire
Hervé Le Tellier, Le Nom sur le mur, Gallimard, 2024.
Comme dans L’Amour et les forêts, une femme demande à un romancier d’écrire son histoire. Délaissée par son mari, elle décide de le quitter, sans savoir où cela va la mener. Mais cette fois, Éric Reinhardt va beaucoup plus loin et plonge le lecteur dans une mise en abyme infinie. Sarah devient Susanne, un personnage qui emprunte des éléments de la vraie vie de Sarah, qui elle-même voit son histoire se réinventer, si bien qu’on ne sait plus d’une page à l’autre qui est qui, tant leurs vies s’entrelacent.
Ainsi assiste-t-on au fil des pages à l’élaboration d’un roman, comme si Éric Reinhardt nous faisait pénétrer avec générosité – et Sarah avec nous – dans son atelier d’écriture. Dans ce jeu de miroirs virtuose, il y a aussi une dévorante histoire de tableau représentant un couvent, une description rare des liens qui unissent une mère et un fils, une scène bouleversante où l’héroïne regarde sa famille évoluer sans elle à travers la vitre de son ex-appartement et une incursion inattendue dans l’autobiographie, inédite chez Éric Reinhardt.
Sarah, Susanne et l’écrivain : le réel, la fiction et l’imaginaire, les ingrédients d’un très grand roman !
À lire
Éric Reinhardt, Sarah, Susanne et l’écrivain, Gallimard, 2023.
L’amour, vu par François Bégaudeau, est un long fleuve tranquille. Dans son dernier roman, l’écrivain parvient admirablement à faire le récit de cinquante ans d”un amour ordinaire, vécu sans passion par un couple, Jeanne et Jacques. Lorsqu’ils se rencontrent, au début des années 1970, elle est réceptionniste dans un hôtel et lui, maçon dans l’entreprise de son père. Ce n’est pas le coup de foudre, mais leur amour se construit paisiblement, de balades en moto en rendez-vous à l’hôtel. Puis ils se marient, achètent une maison avec jardin et font un enfant. Leur mariage s’écoule sans nuages au rythme des émissions d’Europe 1, des chansons de Richard Cocciante, des grands prix de Formule 1, des catalogues de La Redoute et des après-midi loto. Les années s’enchaînent : un demi-siècle de vie commune en seulement 100 pages !
Pas d’histoire passionnelle, pas de rupture à grand fracas, ni douleurs ni blessures. François Bégaudeau rend visible ce qui habituellement passe sous les radars de la littérature. Il rend hommage aux couples qui font leur chemin tranquillement, sans épanchement, sans embrasement des cœurs. L’écrivain fixe l’amour ordinaire, célèbre dignement une routine qui n’exclut pas l’amour, mais qui en est au contraire le creuset.
Révélé par Entre les murs, adapté au cinéma par le regretté Laurent Cantet et récompensé de la
Palme d’or à Cannes, François Bégaudeau signe avec L’Amour son dix-huitième roman, assurément l’un des plus beaux.
À lire
François Bégaudeau, L’Amour, Éditions Verticales, 2023.
Autrice d’une œuvre qui mêle fiction et poésie, démarrée alors qu’elle n’avait que 16 ans, Cécile Coulon a connu très vite un succès public et critique. Oh les beaux jours ! est heureux de l’accueillir au festival pour la première fois.
Pour son neuvième roman, l’écrivaine publie un beau conte initiatique sur la transmission du mal et sa réparation. Un jeune guérisseur, formé par sa mère dont il a reçu le don, se rend pour la première fois seul au chevet d’un enfant, dans un hameau au passé tragique, perdu dans un paysage impérieux et austère. Au cours d’une nuit fiévreuse, véritable cérémonie de passage, il va apposer ses mains sur les douleurs de l’enfant et exorciser par le feu les secrets, les violences et les drames qui entourent sa naissance. Par cet acte réparateur, il va s’affranchir de l’autorité de sa mère et s’affirmer comme un guérisseur à part entière, détenteur en propre de la «langue des choses cachées» qui convoque et apaise «les fantômes pris dans leurs chaînes comme un grand amour dans un cœur brisé».
Dans une langue poétique et nerveuse, Cécile Coulon y développe avec force ses thèmes de prédilection : la nature et la ruralité, le corps et la violence.
En 2017, Cécile Coulon a reçu le Prix des libraires pour son roman Trois Saisons d’orage, et en 2010 le Prix littéraire du Monde pour Une bête au paradis. En poésie, elle a été consacrée en 2018 par le Prix Guillaume-Apollinaire pour son recueil Les Ronces.
Entretien animé par Mathilde Wagman (Le Book Club, France Culture)
Neige Sinno a été violée par son beau-père pendant sept ans, entre ses 7 et ses 14 ans, alors que sa famille recomposée menait une existence marginale dans un village des Alpes. Elle dénoncera son bourreau qui sera condamné à neuf ans d’emprisonnement. Vivant aujourd’hui au Mexique, Neige Sinno relate son expérience traumatique dans le très remarqué Triste tigre, récompensé notamment par le prix Femina, le prix Goncourt des lycéens, le prix Les Inrockuptibles et le prix littéraire Le Monde. Ce livre impressionnant fait d’ores et déjà figure de classique de la littérature française contemporaine par l’importance de son témoignage sur l’inceste et par la singularité de sa forme, entre auto-fiction et essai qui redéfinit magistralement la notion de victime.
« Comment Celui qui créa l’Agneau a-t-il pu te créer ? », demande William Blake au tigre dans son poème éponyme. Comme avant elle l’autrice américaine Margaux Fragoso dans son témoignage Tiger, Tiger: A Memoir (2011), Neige Sinno reconnaît dans le félin la figure de son bourreau, mais elle évoque un prédateur affaibli, un «triste tigre», aux griffes et aux crocs émoussés, sur lequel elle va reprendre le pouvoir grâce à l’écriture. Triste tigre, c’est aussi l’allégorie de sa colère devenue mélancolie devant l’impuissance de la littérature à rendre compte de l’inceste, à traduire «l’extrême violence sans violence que sont les abus». Alors, pour témoigner, Neige Sinno convoque des alliés, Annie Ernaux, Christine Angot, Toni Morrison ou encore Claude Ponti, qui lui ont ouvert la voie et ont rendu cette parole possible.
Une rencontre exceptionnelle pour parler de ce texte essentiel et mesurer avec Neige Sinno l’impact de ce livre-événement neuf mois après sa sortie.
À lire
Neige Sinno, Triste tigre, P.O.L, 2023 (prix littéraire Le Monde 2023, prix les Inrockuptibles 2023, prix Femina 2023, Goncourt des lycéens 2023).
Clara Arnaud et Maylis de Kerangal ont en commun une écriture incandescente et le goût des mots justes qui enflamment les histoires. Toutes deux accordent de l’importance aux lieux et à la manière dont ils constituent la matière même de la fiction. « Sans lieu, il n’y a pas d’écriture de roman ; sans paysage, pas de roman. Et j’espère que le roman deviendra un paysage », explique Maylis de Kerangal. C’est sans doute cette capacité commune à transcender le réel pour en faire récit qui lui a donné envie d’interviewer elle-même Clara Arnaud, dont elle a beaucoup aimé le dernier roman.
Dans Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud choisit pour décor la montagne ariégeoise. Au cours d’une saison d’estive, les attaques répétées d’une très grande ourse contre les troupeaux ravivent les tensions. C’est là qu’Alma, une jeune éthologue, et Gaspard, un berger, vivent parmi les bêtes. Dans cette vallée des Pyrénées, l’homme et l’animal sont intimement liés depuis des siècles, comme le rappelle l’histoire d’un jeune montreur d’ours parti faire fortune à New York un siècle plus tôt, dont la fin tragique fait écho au présent. Se réclamant d’un récit de nature et ouvrant les possibles d’un wilderness à la française, Clara Arnaud explore les contradictions de notre rapport au vivant.
Fictionner le réel pour mieux le penser, combiner espaces et émotions : autant d’enjeux narratifs au cœur de cet échange prometteur où les deux écrivaines – dont l’une devenue intervieweuse pour l’occasion – exploreront ensemble les mécanismes qui mettent leur langue en mouvement et animent leur écriture.
En coréalisation avec le Mucem.
À lire
Clara Arnaud, Et vous passerez comme des vents fous, Actes Sud, 2023.
Cécile Coulon a publié son premier roman à l’âge de 16 ans. Depuis, elle a fait paraître huit autres romans, quatre recueils de poésie, une pièce de théâtre, obtenu plusieurs prix littéraires, animé une émission de radio sur France Inter, écrit une thèse sur le sport et la littérature, et pratiqué la course à pied sur des centaines de kilomètres parce que, dit-elle, la course sert son écriture, l’aide à trouver le rythme du texte et à visualiser certaines scènes…
C’est cette autrice ultra-douée qu’interrogeront deux classes de lycéens, préalablement préparés à cet exercice de haut vol par la critique littéraire Élodie Karaki. Il sera question de deux des romans de Cécile Coulon : Une bête au paradis, où sont dépeints avec finesse les liens qui unissent trois générations de femmes dans un milieu rural, révélant les tensions et les secrets qui les habitent ; et Méfiez-vous des enfants sages, qui met en scène Lua, une adolescente qui se rebelle contre son entourage et les normes sociales.
Nul doute que la lecture attentive de ces deux textes aura suscité une avalanche de questions chez les jeunes intervieweurs. Une rencontre ouverte à tous pour plonger à la fois dans l’univers littéraire d’une autrice et dans les préoccupations des adolescents !
À lire
Cécile Coulon, Une bête au paradis, L’Iconoclaste, 2019 (Prix littéraire Le Monde).
Cécile Coulon, Méfiez-vous des enfants sages, Viviane Hamy, 2010.
Rencontre animée par les élèves de Seconde du lycée Émile Zola d’Aix-en-Provence
La question de l’emprise psychologique des adultes sur les plus jeunes est désormais nommée et questionnée. Dans Gamine, le roman d’Emmanuelle Rey, Judith, rencontre Colin, dont le prénom lui rappelle celui du héros de L’Écume des jours. Colin est beau, mature, sûr de lui et… il a 32 ans.
Mais peu importe qu’il ait deux fois son âge puisque la jeune fille est enfin amoureuse ! Du moins le croit-elle… Le mécanisme de l’emprise se met en marche et va se refermer sur elle : Colin coupe Judith de ses amis, la dévalorise, la culpabilise, l’humilie, lui dicte ses choix vestimentaires, ses goûts musicaux.
Comment la littérature ado s’empare-t-elle des relations amoureuses toxiques et peut-elle aider à en décrire les rouages ? Comment se prémunir contre l’emprise et existe-t-il des moyens de prévention? Préparés par Maya Michalon, éditrice et modératrice, des lycéens interrogeront l’écrivaine Emmanuelle Rey et une pédopsychiatre sur ces questions importantes.
Un écrivain, double littéraire de Jón Kalman Stefánsson, aperçoit dans un parc londonien le héros de son enfance, Paul McCartney. Bien décidé à l’aborder, il cherche ses mots, met de l’ordre dans ses idées et remonte le fil de ses souvenirs marqués par le répertoire des Beatles. Il se souvient de la mort de sa mère, fan du groupe anglais, et du réconfort qu’il éprouvait en écoutant en boucle Yellow Submarine. Il se souvient de la Trabant que conduisait son père, maçon taiseux et maltraitant, de la beauté sauvage des fjords de l’Ouest, de son éducation biblique décevante et de la découverte de sa vocation d’écrivain dans son «sous-marin jaune», une pièce en sous-sol de la bibliothèque municipale de Keflavík, où il se réfugiait.
Dans la mémoire fantasque de l’écrivain se bousculent Rod Stewart, un Ringo Starr devenu évêque, un moniteur d’auto-école indifférent à l’assassinat de John Lennon, des poèmes de Gilgamesh et des passages de la Bible.
Avec Mon sous-marin jaune, le grand auteur islandais Jón Kalman Stefánsson renouvelle la veine romanesque qui a fait son succès pour livrer un récit plus personnel sur la mémoire et l’oubli.
Célébré dans le monde entier pour sa trilogie Entre ciel et terre, La Tristesse des anges et Le Coeur de l’homme, une odyssée dans l’Islande sauvage et hostile de la fin du XIXe siècle, Jón Kalman Stefánsson s’est particulièrement distingué en France avec son précédent livre Ton absence n’est que ténèbres, qui a touché plus de 100 000 lecteurs.
À lire
Jón Kalman Stefánsson, Mon sous-marin jaune, traduit de l’islandais par Éric Boury, Christian Bourgois, 2024.
Pour ouvrir le festival, Oh les beaux jours ! accueille Jean-Baptiste Andrea, dont le dernier roman, Veiller sur elle, a obtenu le prix Goncourt cette année et rencontre un vif succès public.
En 1986, Mimo, un sculpteur de génie, se meurt dans un monastère italien. Les moines l’ont accueilli quarante ans plus tôt pour «veiller sur elle». Elle, c’est cette statue splendide que le Vatican a soustrait au monde à cause de son étrange pouvoir de séduction et des réactions troubles qu’elle suscite. Mimo raconte sa vie romanesque à travers l’Italie du XXe siècle et sa passion pour une belle et brillante aristocrate, Viola Orsini.
Né en France, atteint de nanisme, Mimo devient l’apprenti de son oncle, sculpteur sur le plateau de Pietra d’Alba, qui le martyrise. Il se place sous la protection du marquis d’Orsini, qui reconnaît son immense talent, et noue une relation indéfectible avec sa fille, Viola, qui façonnera tout son être. Moderne, brillante et émancipée, elle initie le jeune sculpteur à la culture afin qu’il s’élève socialement et s’oppose farouchement au fascisme dans lequel se sont compromis Mimo et les hommes de sa famille. Mimo deviendra un célèbre artiste, Viola se morfondra dans un mariage de convenance, mais ils ne cesseront d’entretenir cet amour courtois dont ils se nourrissent l’un et l’autre.
Jean-Baptiste Andrea livre une fresque historique ambitieuse, qui met en avant l’engagement féminin à travers le personnage de Viola et l’évocation de cette mystérieuse statue que l’on protège en l’enfermant.
À lire
Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle, L’Iconoclaste, 2023 (prix Goncourt 2023).