cccccc

Archives

Jour de ressac

Maylis de Kerangal
Entretien animé par Camille Thomine

Un appel venu du Havre. Un cadavre sur la plage. Un numéro de téléphone griffonné sur un ticket de cinéma. Et une femme, doubleuse de films, rappelée brutalement à une ville quittée depuis des décennies. Ainsi s’ouvre Jour de ressac, le dernier roman de Maylis de Kerangal, où l’enquête cède rapidement la place à une dérive urbaine et mentale, tissée de réminiscences, de visages oubliés et de paysages intérieurs.

Dans ce récit à la première personne – une rareté chez l’autrice – Le Havre devient bien plus qu’un décor : il agit comme un révélateur. Ville reconstruite sur ses ruines, ville fantôme et ville vivante, elle expose ses failles au même rythme que la narratrice redécouvre les siennes. Tout est affaire de correspondances, de signaux faibles, de liens invisibles. Le style ample et sinueux de Maylis de Kerangal épouse ce mouvement, entre rêverie concrète et lucidité inquiète.

Lors de cette rencontre, l’écrivaine lira des extraits de son roman et reviendra sur ce livre qu’elle dit être son plus personnel, non parce qu’il raconte sa vie, mais parce qu’il creuse le sol de ce qui la fonde : une ville, une voix, une mémoire qui travaille encore. Jour de ressac n’est pas un retour nostalgique, mais un regard tendu vers ce qui persiste.


À lire

  • Maylis de Kerangal, Jour de ressac, Éditions Verticales, 2024.

Retrouvez Maylis de Kerangal le dimanche 1er juin à 11h au GMEM pour Musiques-Fictions.

La figure

Bertrand Belin
Entretien animé par Camille Thomine

Avec La Figure, son cinquième roman, Bertrand Belin poursuit son beau cheminement d’écrivain, avec un récit à la fois intime et elliptique, où l’enfance et la langue se heurtent à la brutalité d’un héritage familial. Replié dans un buisson de laurier — refuge mental et physique — le narrateur voit défiler sa propre histoire comme un film trouble : visions d’un père violent, errances adolescentes et échappées imaginaires. À ses côtés, « La Figure », entité mi-ironique mi-tutélaire, lui souffle des mots, l’interpelle, le trouble. Dans une prose inventive et précise, Bertrand Belin donne corps à une mémoire fissurée, où l’écriture devient un moyen de fuir, mais aussi de faire face.

À travers ce roman d’apprentissage disloqué, il interroge ce que devient la langue quand on vient d’un monde où elle n’a pas droit de cité. La Figure explore la tension entre oralité et littérature, entre le poids du silence et le surgissement d’une voix propre, l’absence de mots et l’appel d’une langue à inventer — un questionnement qui résonne avec son parcours de chanteur autant que d’écrivain.

Depuis plus de vingt ans, dans ses disques (Hypernuit, Tambour Vision) comme dans ses romans, tous publiés chez P.O.L (Requin, Grands carnivores), Bertrand Belin sculpte le réel par éclats, avec une mélancolie dense et une ironie lucide. La Figure prolonge ce geste artistique singulier, dans une langue rugueuse, élégante, habitée par les fantômes et la puissance de l’imaginaire.


À lire

  • Bertrand Belin, La Figure, Éditions P.O.L, 2025.

Le bastion des larmes

Abdellah Taïa
Entretien animé par Élodie Karaki

Abdellah Taïa signe un roman bouleversant, Le Bastion des larmes, où le retour d’un homme au Maroc, dans sa ville natale, fait remonter à la surface les fantômes d’une vie entière. Vingt-cinq ans après avoir quitté Salé, sa mère décédée, Youssef revient dans la maison familiale. Professeur d’université en France, il se retrouve happé par les blessures enfouies de l’enfance, les silences jamais brisés, les humiliations tues et les gestes d’amour restés à l’état de promesse. Comme toujours, Abdellah Taïa explore avec une rare délicatesse les liens complexes entre filiation, mémoire, exil et transmission. Dans une langue sobre, parfois presque chuchotée, il parvient à faire entendre ce que le chagrin, l’absence, la honte ou le désir ne peuvent dire à voix haute.

Né à Salé, au Maroc, Abdellah Taïa vit à Paris et construit depuis plus de vingt ans une œuvre littéraire libre et courageuse, traversée par les thèmes de l’homosexualité, de l’émancipation, de la marginalité. Premier écrivain marocain à avoir revendiqué publiquement son homosexualité, il est  l’auteur d’une dizaine de livres traduits dans plusieurs langues, dont L’Armée du salut et Un pays pour mourir, et le réalisateur du film tiré de son premier roman.

Avec Le Bastion des larmes, couronné par le prix Décembre, il confirme son talent pour faire entendre les voix étouffées — celles des fils blessés, des mères absentes ou muettes, des êtres en quête d’un abri. Un moment fort en perspective avec un écrivain qui, livre après livre, fait de la littérature un espace de vérité et de résistance.


À lire

  • Abdellah Taïa, Le Bastion des larmes, Julliard, 2024 (prix Décembre).

L’Éden à l’aube

Karim Kattan
Entretien animé par Élodie Karaki

Dans son nouveau roman, Karim Kattan raconte une histoire d’amour entre deux jeunes hommes, de Jérusalem à la Cisjordanie. Mais L’Éden à l’aube est bien plus qu’un récit amoureux : c’est une traversée sensorielle, une errance hantée par la mémoire, le désir, la colère, le deuil, l’humour et les bêtes. Dans une langue fragmentaire et incantatoire, l’écrivain palestinien fait glisser le réel vers l’onirique : lézards, cafards, visages aux contours mouvants traversent le texte comme autant de figures d’une résistance vivante, organique, parfois grotesque, toujours bouleversante.

L’Éden à l’aube interroge le pouvoir des mots dans un monde disloqué. Que peut la littérature face à la dépossession ? Comment redonner forme aux jours dans un territoire miné, morcelé, sous surveillance constante ? Ici, l’écriture n’est pas un refuge, mais une manière d’habiter le trouble — de faire surgir, malgré tout, une beauté têtue.

Dans le contexte politique actuel, l’œuvre de Karim Kattan résonne avec une force particulière. Elle affirme la nécessité d’une parole palestinienne libre, mouvante, indisciplinée, capable de résister à l’effacement par la puissance du récit.


À lire

  • Karim Kattan, L’Éden à l’aube, Éditions Elyzad, 2024.

Retrouvez Karim Kattan mardi 27 mai à 10h30 à l’Alcazar pour un dialogue avec ses jeunes lecteurs.

Toutes les époques sont dégueulasses

Laure Murat
Entretien animé par Olivia Gesbert

Depuis quelques années, un malaise s’est installé dans la culture contemporaine. Le débat sur la réécriture des classiques pour les purger du racisme et du sexisme, la censure, les sensitivity readers et la contextualisation des œuvres agite la scène culturelle, en France comme aux États-Unis.

Dans un essai incisif et nuancé, Laure Murat interroge les véritables enjeux de ces polémiques. S’appuyant sur des exemples concrets – de Mark Twain à Roald Dahl, en passant par Hergé ou Agatha Christie –, elle démonte les idées reçues et invite à dépasser les oppositions simplistes entre défense de la création et exigences de sensibilisation. Elle questionne la place de l’argent, du marché et des nouveaux acteurs de l’édition dans ces débats, tout en rappelant que la censure peut venir d’endroits inattendus et que la création artistique est toujours traversée par les tensions de son temps.
Avec la rigueur de l’historienne et la liberté de ton de l’essayiste, elle propose une réflexion profonde sur la responsabilité des artistes, le rôle de la littérature et la dimension politique de toute création.

Professeure à l’Université de Californie-Los Angeles (UCLA), Laure Murat s’est imposée comme une voix majeure dans les débats contemporains sur la culture, la mémoire et la démocratie. Son regard, nourri par une double culture franco-américaine et une œuvre saluée par de nombreux prix, dont le Médicis essai pour Proust, roman familial, éclaire avec finesse et originalité les fractures de notre époque et la nécessité de défendre une pensée complexe face aux crispations identitaires.


À lire

  • Laure Murat, Toutes les époques sont dégueulasses, Éditions Verdier, 2025.

Nord Sentinelle

Jérôme Ferrari
Entretien animé par Olivia Gesbert

Dans Nord Sentinelle, Jérôme Ferrari ne s’attaque à rien moins que la violence et la médiocrité, à travers le destin d’Alexandre Romani, fils d’une famille influente de Corse. Propriétaire d’un restaurant, Alexandre commet l’irréparable. À la suite d’une querelle absurde autour d’une bouteille de vin, il poignarde un ami d’enfance venu du continent. Loin d’être lui-même exempt de défauts, le narrateur retrace cette tragédie où le grotesque le dispute au dérisoire, explorant la charge toxique de certaines légendes locales et le poids des mythes virilistes.

Sous-titré Contes de l’indigène et du voyageur, Nord Sentinelle épingle aussi avec ironie les ravages du tourisme de masse sur l’île et ses habitants : rancunes sociales, hypocrisie touristique, désir d’authenticité dévoyé. Entre polar, conte philosophique, satire sociale et tragédie grecque, Jérôme Ferrari poursuit avec finesse et férocité son implacable dissection des rapports humains et signe un roman acéré sur la perte de sens et la possible nécessité de redéfinir les frontières – géographiques, symboliques, morales.

Pour clore cette intense semaine de frictions littéraires, Oh les beaux jours ! est heureux d’accueillir pour la première fois Jérôme Ferrari, un écrivain qui ausculte notre époque avec précision et mordant.

En coréalisation avec le Mucem.


À lire

  • Jérôme Ferrari, Nord Sentinelle, Actes Sud, 2024.

Retrouvez Jérôme Ferrari samedi 31 mai à 14h, à la bibliothèque de l’Alcazar, lors de la rencontre Que faire de nos vengeances ? de la NRF.

Mes battements

Albin de la Simone
Entretien animé par Camille Thomine

Fidèle compagnon musical d’Oh les beaux jours !, Albin de la Simone ne pouvait pas passer à côté du festival pour y présenter son premier livre ! Mêlant ses mots et ses dessins, il a imaginé un ouvrage singulier qui, par petites touches picturales et intimes, dévoile son enfance guidée par un père hors-norme. Car, loin d’une vie d’aristocrate que ses camarades ont tôt fait de lui prêter, la famille De la Simone mène malgré tout une existence romanesque : un château pour maison, des promenades en avion, des voitures de collection dans le jardin et des vacances privilégiées au soleil ou à la montagne.

«Est-ce que je suis toute seule avec mes battements ?», s’interrogeait Françoise Hardy dans une chanson. Les hauts, les bas, les émotions fortes et les arythmies, Albin de la Simone les partage régulièrement avec ses abonnés sur les réseaux sociaux en publiant ses dessins faits en tournée, dans les hôtels ou sur les routes. Avec pudeur, il évoque ses jeunes années en Picardie, poursuit ce voyage intérieur à l’adolescence, puis à ses débuts comme musicien, entre jazz et rock, avant de se faire une place de choix dans la chanson.

Ce récit illustré résonne naturellement avec l’univers de ses chansons : douceur, mélancolie lumineuse, art de saisir les émotions fugaces et de raconter l’intime avec simplicité. Comme dans ses albums, Albin de la Simone explore ici les pulsations de la vie, offrant un livre aussi attachant et élégant que ses mélodies dont il viendra nous parler.


À lire

  • Albin de la Simone, Mes battements, Actes Sud, 2025.

À écouter

  • Albin de la Simone, Toi là-bas, Tôt ou tard, 2025.

Le rêve du jaguar

Miguel Bonnefoy
Entretien animé par Sonia Déchamps

Oh les beaux jours ! est heureux d’accueillir pour la première fois l’écrivain franco-vénézuélien Miguel Bonnefoy. Avec Le Rêve du jaguar, il nous entraîne dans une saga familiale tourbillonnante, nourrie de ses racines et de l’imaginaire sud-américain. Tout commence à Maracaibo, au Venezuela, où un nouveau-né abandonné, Antonio, est recueilli sur les marches d’une église par une mendiante muette. Devenu orphelin, il grandit dans la pauvreté, exerce mille métiers, puis, porté par une énergie combative, se hisse au rang de chirurgien renommé. Sur sa route, il rencontre Ana Maria, la première femme médecin de la région, qui devient sa compagne. Ensemble, ils donneront naissance à une fille prénommée Venezuela, en hommage à leur pays alors en pleine tourmente politique. De génération en génération, la famille inscrit ses histoires dans la mémoire du pays, jusqu’à Cristobal, dernier maillon de cette lignée, qui recueille dans son carnet les mille histoires de ses ancêtres…

Au-delà d’un portrait familial hors du commun, Le Rêve du jaguar nous plonge dans l’histoire tourmentée du Venezuela, ses révolutions, ses dictatures et ses mythes fondateurs. Nourri à la source de la littérature sud-américaine et au réalisme magique, sans jamais être prisonnier de ses codes, Miguel Bonnefoy excelle à entrelacer précision historique et onirisme, porté par un art du récit sans faille. Avec un style flamboyant, poétique, qui emprunte ses références à la nature, à la jungle, à la pluie et à la terre rouge, il sculpte ses phrases et offre à ses personnages une épaisseur inoubliable.

Lauréat du Grand Prix du Roman de l’Académie française et du prix Femina, Miguel Bonnefoy reviendra sur la genèse de cette fresque familiale, la manière dont le Venezuela y devient un personnage à part entière, mais aussi sur son rapport à la langue française et à l’héritage métissé qui irrigue toute son œuvre.


À lire

  • Miguel Bonnefoy, Le Rêve du jaguar, Éditions Rivages, 2024 (Grand Prix de l’Académie française et prix Femina).

Je ne sais pas si je passe bien dans le paysage

Anne Portugal
Entretien animé par Michaël Batalla

Pour écrire ses livres de poésie, depuis Les Commodités d’une banquette (P.O.L, 1985) jusqu’à s&lfies (P.O.L, 2023), en passant par quelques opuscules plus secrets (voyer en l’air, Éditions l’Attente, 2001), Anne Portugal imagine des dispositifs éphémères comme on conçoit dans l’industrie des montages d’usinage, dans le but de faciliter la fabrication en série des pièces attendues.
Travaillant ainsi par ensembles successifs, elle donne vie à des « générations de poèmes » qu’elle charge de solutionner des problèmes variés, tout à la fois historiques, esthétiques et politiques comme, par exemple, celui du voyeurisme (Le plus simple appareil, P.O.L, 1992).

Du surréalisme sans métaphores à l’autoportrait sans images, chaque livre d’Anne Portugal se présente dès lors comme le laboratoire d’une écriture nouvelle qui ravive l’expérience de la lecture.
En sa compagnie, nous explorerons, en parole et par les textes, quelques-unes des lignes de force de cette passionnante aventure de création poétique.

En partenariat avec le CipM.


À lire

  • Anne Portugal, s&lfies, Éditions P.O.L, 2023.