Avec Andreï Kourkov.
Entretien animé par Christophe Ono-dit-Biot (Le Point).
Oh les beaux jours ! avait convié l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov avant que la tragédie de la guerre ne nous rattrape. Et c’est une grande chance de recevoir le célèbre auteur du Pingouin et du Journal de Maïdan pour profiter de son regard implacable autant qu’ironique sur les confusions de notre temps.
Dans son dernier roman, Les Abeilles grises, Kourkov nous entraîne dans le théâtre absurde d’un village abandonné de la « zone grise », aujourd’hui sous les bombes, coincé entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. Dans ce no man’s land ne vivent plus que Sergueïtch et Pachka, ennemis d’enfance, désormais obligés de coopérer contre l’adversité. « Là-bas, le ciel est gris, les âmes sont mortes », autant que dans le roman éponyme de Gogol, père fondateur de la littérature ukrainienne.
Sergueïtch, apiculteur désabusé, ne croit plus en grand chose si ce n’est en ses abeilles, cette société parfaitement ordonnée qui, contrairement à celle des hommes, ne dévie pas. Si les conditions de vie sont aussi rudimentaires qu’en temps de guerre, l’ennui, les journées monotones de Sergueïtch sont cependant peuplées de rêves visionnaires. Inapte à sauver les hommes, il fera tout ce qui est possible pour garder intactes ses six ruches qu’il exfiltre lors d’une aventure au cœur des prairies fleuries de l’ouest de l’Ukraine et des montagnes de Crimée. Précieux chargement surveillé et convoité par le « grand frère » russe qui, tel Caïn, tente depuis des siècles de mettre à terre la culture et le peuple ukrainien.
La littérature est le moyen le plus sûr pour capter l’indicible et nous faire mesurer l’inacceptable. Avec la lucidité grinçante qui le caractérise, Andreï Kourkov viendra donc nous parler des abeilles et nous donner les dernières nouvelles de son pays en guerre.
À lire
- Andreï Kourkov, Les Abeilles grises, Liana Levi, 2022.
En coréalisation avec le Mucem.